The role of the ALR and stolen art databases profiled in the French judiciary ‘Droit & Patrimoine’


The monthly French magazine for jurist’s practitioners published a 62-page file dedicated to the art market in their October publication. The ALR’s Paul Exbrayat contributed an article on the topic ‘the stolen art databases’, presenting the differences and opportunities between open, closed and managed stolen art databases – and covering why it is in the general interest of the collectors and the market to use them at broad scale.

 

Les bases de données de biens culturels disparus

Résumé :

Les biens culturels disparus sont le plus souvent enregistrés dans des bases de données qui jouent un rôle majeur dans la lutte contre le vol des œuvres d’art et dont il n’est pas inutile de rappeler l’existence, le fonctionnement et l’utilité.

Introduction :

Le nombre d’objets d’art volés ou spoliés est difficile à évaluer précisément mais s’élève sans aucun doute à plusieurs centaines de milliers de pièces, voire à plusieurs millions en comptant les livres et manuscrits. Dès lors qu’ils ont été illégitimement soustraits à leurs propriétaires, ces objets sont recherchés. Ces recherches sont particulièrement nécessaires lorsqu’ils ont été spoliés pendant la seconde guerre mondiale dans les conditions que l’on sait, ou encore lorsqu’ils appartenaient à des collections publiques et dont la disparition pénalise l’intérêt général.

La plupart de ces objets disparus ont été enregistrés dans des bases de données dont il convient de présenter les caractéristiques (I), avant de détailler la fonction qu’elles remplissent dans la lutte contre le trafic des biens culturels (II). Enfin, les conditions de leurs consultations seront abordées (III).

I Présentation des bases de données

Apparues vers la fin des années 90, elles sont désormais très nombreuses, ce qui n’est d’ailleurs pas sans risque d’effet contreproductif (A). Elles ne sont pas toutes de même nature (B), et une attention sera portée sur leur contenu (C).

A Genèse et développements

Les premiers recensements d’envergure concernent les spoliations d’œuvres d’art commises par le régime Nazi. Si cet état des lieux est réalisé immédiatement après-guerre, c’est à la fin des années 90 que nombre de pays, notamment en Europe, commencent à compiler ces données dans des bases nationales informatisées.

A la même période, d’autres registres sont développés pour répertorier les objets volés au préjudice de collections publiques et privées ou de lieux de culte. Là encore, il s’agit essentiellement de bases nationales, voire locales.

Le recensement de biens culturels disparus s’est donc effectué via de multiples projets, ce qui témoigne d’un consensus sur la nécessité d’une telle démarche. Toutefois, en l’absence de coordination, chaque base a développé ses propres spécificités de fond et de forme (thématiques, géographiques, modes d’accès et de recherches, indexations, catégorisations, langues, etc.).

Ainsi, s’il existe aujourd’hui de très nombreux registres dédiés, les interroger peut se révéler chronophage et complexe, au point même, dans certain cas, de décourager les initiatives de consultation.

Confrontés à cette problématique, nombre d’acteurs du marché de l’art plaident d’ailleurs depuis longtemps pour la création d’une base de données centrale et exhaustive.

B Types de bases de données

Il existe trois catégories de bases de données : ouvertes, fermées et privées.

Les bases ouvertes sont gratuites et libres d’accès. Si la plus connue est sans doute la base d’Interpol, il en existe bien d’autres, en France comme à l’étranger, issues d’autorités gouvernementales, de musées, d’associations de marchands, etc… Dans cette catégorie des bases ouvertes apparaissent également les nombreux registres des biens spoliés entre 1933 et 1945.

Les bases fermées sont essentiellement les bases policières, telle la base TREIMA gérée en France par l’Office Central de lutte contre le trafic des Biens Culturels. Comme leurs noms l’indiquent, elles ne sont pas directement accessibles au public, bien que certaines soient partiellement libres de consultations, comme celles du FBI ou des Carabinieri Italiens.

Les bases privées, comme celle du Art Loss Register, compilent les données des bases ouvertes avec des données qui leur sont spécifiquement communiquées par des services de police, des assurances, des avocats, des particuliers, etc.

Chacun de ces systèmes comporte des avantages et des inconvénients.

Les bases ouvertes favorisent une large diffusion de l’information, ce qui est essentiel. Mais le plus souvent, il n’y a pas de suivi des consultations. Ainsi, celui qui les interroge et s’aperçoit qu’il détient un objet volé peut préférer s’en débarrasser sans que quiconque ne se rende compte de la recherche qui vient d’être effectuée. L’objet en question disparait à nouveau, et son signalement s’est révélé en l’espèce inutile.

Les bases policières sont riches en informations et sont un support efficace aux investigations. Mais, d’accès limité, elles ne sont finalement que très peu consultées.

La base privée du Art Loss Register est en accès payant (sauf pour les forces de l’ordre), ce qui peut être un frein. En contrepartie, elle offre des services spécialisés : aux victimes de vols, l’enregistrement des objets disparus et leur recherche active sur le marché de l’art ; aux acteurs de ce marché, la prise en charge des diligences qui doivent être effectuées en amont des transactions. Le marché est donc déchargé des recherches longues et complexes évoquées précédemment.

C Les objets contenus dans les bases

Si les bases policières sont directement enrichies par les éléments de l’enquête, l’alimentation des autres types de registres se fait par de multiples parties (services de police, victimes, assurances, avocats, musées et institutions culturelles, professionnels du marché, chercheurs en provenance, etc.). Le déclarant doit être légitime à reporter l’objet disparu. Il doit aussi être parfaitement identifié afin de faciliter la prise de contact en cas de découverte, même après de nombreuses années.

Contrairement à une idée répandue, les bases ne sont pas réservées aux seuls chefs-d’œuvre disparus, et il est bien entendu que tout bien culturel volé doit être recherché, quand bien même sa valeur patrimoniale ou pécuniaire serait moindre.

Il est important que les objets qui complètent les registres soient correctement documentés : image, description, dimensions, matériaux, date, signature, etc. Plus l’enregistrement sera de qualité, plus les chances de l’identifier lors de l’interrogation de la base seront élevées.

C’est un problème récurrent sur les signalements des biens spoliés, qui sont fréquemment incomplets. Prenons pour exemple un enregistrement dans un répertoire des biens spoliés d’un tableau d’Alfred Sisley, « Paysage de printemps », sans image, ni dimensions. Il s’agit-là d’un sujet si fréquemment traité par l’artiste, qu’identifier cette œuvre sur ce seul signalement n’est pas possible. Heureusement, le travail considérable effectué par les chercheurs en provenance permet souvent de compléter les signalements initiaux.

Enfin, pour être efficace, il est important que les registres soient mis à jour, en particulier lorsque qu’un objet a été retrouvé.

Le statut des biens archéologiques pillés ces dernières années au Moyen Orient doit ici être évoqué. Si l’on sait que des pillages massifs ont eu lieu, il n’y a pas aujourd’hui de listes précises des objets concernés. Ils ne peuvent donc pas, pour la plupart, être renseignés dans des registres et une attention particulière doit alors être portée sur leur provenance.

II Fonction des bases de données des objets d’art volés et spoliés

Elles sont le support d’enregistrement des disparitions (A), et permettent leurs diffusions à l’attention du plus grand nombre (B), ce qui font d’elles un outil précieux en termes de prévention des vols de biens culturels (C).

A Enregistrement des données

Ces bases de données sont le support technique sur lequel les biens culturels disparus sont collectés et organisés. Elles sont des registres structurés qui centralisent, recensent et répertorient les objets recherchés.

Une fois enregistré, le statut ‘d’objet disparu’, est fixé. C’est alors la garantie que cet état ‘d’objet recherché’ perdure dans le temps, même lorsque les protagonistes directs (victimes et police notamment) ne le recherchent plus activement.

Ces bases sont ainsi la mémoire des disparitions, fonction essentielle tant le nombre d’œuvres concernées est considérable. Sans elles, nul doute que l’immense majorité de ces disparitions tomberait dans l’oubli.

B Mise à disposition des données

On l’a vu, il existe en complément des registres policiers de nombreuses bases ouvertes et privées. Ces dernières, aisément identifiables et accessibles, assurent une large publicité des signalements qu’elles contiennent.

Chaque acteur du marché de l’art (marchand, maison de ventes aux enchères, collectionneur, musée, etc.) a dès lors les moyens de contrôler ces registres afin d’en vérifier le contenu. En amont de toute transaction notamment, possibilité lui est donnée de ne pas ignorer si l’objet convoité y est répertorié.

Mais les informations contenues dans ces bases sont accessibles à tout public, au-delà des professionnels du secteur. Cette diffusion au plus grand nombre permet d’élever le niveau de vigilance et partant, augmente les chances de repérer une œuvre recherchée.

C Prévention

La signalisation des objets disparus dans des bases dédiées et la publicité de ces signalements sont des actions de préventions efficaces du trafic des biens culturels.

En effet, la veille et le contrôle que permettent d’opérer ces registres rendent plus difficile et risquée la mise en circulation des objets par les voleurs, les receleurs ou des réseaux plus structurés. Quant aux acquéreurs, la facilité avec laquelle ils peuvent contrôler les bases lorsqu’une œuvre leur est présentée leur permet, outre de se protéger de toute acquisition problématique, de signaler aux autorités compétentes sa localisation lorsqu’elle est recherchée.

Aux côtés des dispositifs de sécurité plus classiques, l’existence des bases de données participe donc activement à la baisse statistique des vols d’œuvre d’art constatée ces dernières années.

III La consultation des bases de données

Utilisées au quotidien par les services de police spécialisés (A), ces bases sont aussi une ressource majeure pour les chercheurs en provenance (B) et pour les professionnels du marché dans l’exercice des diligences requises (C).

A Par les services de police

La France est l’un des rares pays au monde à avoir des services de police et de gendarmerie entièrement dédiés à la lutte contre le trafic des biens culturels. Ces services ont développé la base TREIMA dans laquelle sont enregistrés les objets d’art volés au niveau national. Quelques autres pays ont développé des registres similaires tandis que dans la plupart des cas, les objets disparus sont intégrés dans des bases policières plus généralistes. Enfin bien sûr, la base Interpol est un point de centralisation international, puisque la quasi-totalité des Etats ont la possibilité d’y faire inscrire leurs biens culturels disparus.

La consultation de ces bases est un point de passage systématique effectué par les enquêteurs dans la conduite de leurs investigations. Ces consultations peuvent aider à orienter les enquêtes et fluidifient les échanges dans le cadre de la coopération policière internationale.

B Par les chercheurs en provenance

Les chercheurs en provenance retracent l’histoire d’une œuvre, les chemins qu’elle a empruntés, de sa création jusqu’au présent. Cette histoire peut contenir une disparition et une restitution (le chercheur peut également découvrir que l’œuvre étudiée est toujours recherchée !) et ces épisodes doivent apparaitre dans la provenance. Les bases de données des objets disparus sont donc une source d’information précieuse dans la conduite des travaux de ces chercheurs.

Le Ministère de la Culture vient récemment de demander à une Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 de conduire des recherches dans les collections publiques françaises afin d’identifier de potentiels objets spoliés qui les auraient rejointes. Nul doute que les registres dédiés seront des ressources de référence pour mener à bien cette tâche.

C Les diligences des particuliers et des professionnels du marché de l’art

Les diligences requises, ou due diligence, sont un ensemble de vérifications et d’audits réalisés en amont d’une transaction afin de limiter les risques d’acquisitions. Dans le cadre du marché de l’art, elles se concentrent essentiellement sur l’authenticité d’une œuvre, sa condition, son estimation, sa provenance et enfin, sur les consultations des bases afin de s’assurer que l’objet ne soit pas volé, spolié, illégalement exporté ou au centre de conflits de propriétés.

Toute personne peut interroger les registres afin de s’assurer qu’un objet qu’elle souhaite acquérir n’est pas signalé. Les recherches peuvent même concerner des œuvres que le collectionneur détient déjà, afin de vérifier qu’elles n’aient pas été enregistrées antérieurement à leur acquisition. Si, dans la plupart des cas, les collectionneurs qui détiennent un objet qui se révèle volé ou spolié l’ont acquis de bonne foi, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un bien recherché. Il vaut donc mieux agir, pour éviter de transmettre ce problème dans le cadre d’une vente, voire d’un héritage.

Mais plus naturellement, ce sont les professionnels du marché de l’art qui effectuent ces consultations lors de la remise en circulation d’œuvres sur le marché.

La mise en vente d’un objet apparait en effet comme étant le moment le plus opportun pour effectuer ces vérifications, avant qu’il ne rejoigne une autre collection pour de nombreuses années. Ne serait-ce que sur le marché français, ce sont plusieurs centaines de milliers d’œuvres qui changent de mains chaque année.

Le propos ici n’est pas de dire que le marché est alimenté par des vendeurs peu scrupuleux puisque ce n’est certainement pas le cas dans l’immense majorité des cas. Mais on le sait, un objet volé emprunte souvent le même chemin : voleur, receleur, acheteur peu regardant, acheteur imprudent (« quelle bonne affaire ! »), puis acquisition(s) en parfaite bonne foi (juste prix, facture, etc.), voire, transmission par héritage. Or, si dans le cadre de ces transactions successives, aucune base des objets volés ou spoliés n’est jamais consultée, voilà donc une œuvre qui circule librement alors qu’elle est recherchée.

En France, la prise de conscience du nécessaire exercice de ces diligences par le marché est assez récente. C’est en 2012 que le recueil des obligations déontologiques des maisons de ventes aux enchères, publié au journal officiel, précise que « l’opérateur (…) procède aux diligences appropriées en ce qui concerne l’origine de l’objet qu’il met en vente et les droits des vendeurs sur cet objet. (…) A cette fin, il lui appartient de consulter les bases de données françaises et internationales disponibles et d’interroger les organisations compétentes. ».

Cette exigence est désormais encouragée par des dispositifs législatifs, plus récents encore, qui protègent les possesseurs de bonne foi ayant exercé ces diligences lors de l’acquisition d’un bien (Lois du Code du Patrimoine de 2015 L112-8 relative aux trésors nationaux, et de 2017, L111-3-1 relative aux certificats d’exportations).

La consultation des bases de données prend donc de plus en plus d’importance et semble appelée à devenir un point de passage obligatoire dans l’exercice des diligences requises et des bonnes pratiques.

Conclusion

Un bien culturel est un bien qui participe à la transmission de la mémoire d’une communauté sinon même de la Nation’ a écrit Frédéric Mitterrand, alors Ministre de la Culture. Et en effet, l’indispensable préservation du patrimoine culturel public et privé impose que les objets disparus soient inlassablement recherchés. En réponse à cette exigence, les bases de données qui viennent d’être présentées sont des outils simples et efficaces qui doivent être activement exploités.

Les professionnels du marché de l’art ont ici un rôle majeur à jouer. On l’a vu, ce sont en France des centaines de milliers de ventes qui ont lieu chaque année, et à l’échelle internationale, c’est plus de 40 millions de transactions en 2019. La consultation systématique des bases en amont de ces échanges, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui, tant s’en faut, permettrait de multiplier les découvertes d’œuvres disparues.

Les acteurs du marché de l’art ont tout intérêt à intégrer ces pratiques dans leurs standards. Question éthique bien sûr, mais aussi stratégique afin de générer de la confiance dans un marché en demande de transparence.

Paul Exbrayat a été enquêteur Officier de Police Judicaire en fonction à l’OCBC de 2009 à 2015. Il travaille désormais à Londres, au Art Loss Register.